samedi 26 avril 2014

ATELIER BD EN MAISON D'ARRET : JOUR 3

Rencontre intéressante avec un sculpteur, jeudi midi, en sortant de la maison d'arrêt d'Orléans. Il a 60 ans, et il anime des ateliers sculpture dans environ 50 établissements. C'est un ancien éducateur spécialisé. A une époque, il faisait des compte rendus écrits sur les détenus qui participaient à ses ateliers. Non pas pour les fliquer, mais pour remonter leur comportement en cours, remarques qui ont déjà eu des répercussions positives sur des décisions de juge. Il n'est pas psychologue, mais à force de faire faire des stages depuis 30 ans, il a une certaine expérience, et des points de comparaison entre les établissements, les surveillants, les détenus, les directeurs ... Moi qui n'en suis qu'à ma troisième année d'ateliers bd, je me sens néanmoins des points communs avec lui. Les responsables des ateliers changeant tout le temps (contrats de 6 mois), à qui pouvons-nous nous  "plaindre", ou faire nos remarques sur la façon dont ça se passe certaines fois. Il m'arrive en effet d'avoir des gens complètement inaptes à mes ateliers. Qui les sélectionne ? et sur quels critères ?
Pleins d'activités sont proposées à l'année aux détenus. C'est eux qui s'inscrivent. Mais beaucoup croient qu'en s'inscrivant, et sans y participer, ou en ne venant qu'une fois, ils vont cumuler des points pour sortir plus tôt. En effet, ces ateliers, quand ils sont suivi tout la semaine, rentrent en ligne de compte sur une sortie anticipée. Organisés par le SPIP service de probation et d'insertion professionnelle. "Insertion", le mot est lâché. Et pour mon collègue sculpteur, il y a longtemps que les SPIP ne font plus leur travail. Il a parfois l'impression qu'on est juste bons à les occuper. Alors qu'en participant à ces ateliers, les détenus sont censés y "apprendre" des règles de vie : horaires (matinaux dans le cas des siens puisqu'ils commence à 7h15), assiduité (matin et après-midi), compréhension des consignes, respect du matériel (ne pas casser ses blocs de pierre), respect de l'intervenant (pas de tutoiement)... Or certains ateliers  ne sont pas faits pour tous. Je me rappelle l'année dernière, où le lundi matin, je m'étais retrouvé avec un seul détenu (sur une liste de 18 participants et 18 suppléants), un Polonais qui avait 71 ans, qui n'avait jamais ouvert une bd de sa vie, et qui comprenait à peine ce que je disais. Pourquoi était-il sur ma liste ? pourquoi, le gradé qui avait signé la liste proposée par le SPIP sur volontariat, n'avait-il pas enlevé l'homme en question charmant au demeurant. Entre les détenus qui s'inscrivent mais qui ne viennent pas pour diverses raisons (sorti de détention, au travail, refus, pas levé, en promenade, à la douche, au sport, au parloir ...), les surveillants qui en ont certains dans le collimateur, et qui ne vont même pas les chercher en cellule quand c'est l'heure, et les détenus qui viennent mais ne restent pas car incapable de comprendre ce que je leur demande, je me sens parfois complètement démuni, seul. Or je suis payé pour être là. Et certaines fois, je trouve que c'est presque de l'argent  gâché, l'argent de l'Etat, donc du contribuable.
Le sculpteur me rejoint là-dessus. Il est très critique sur certains comportements, certaines dérives. L'idée d'insertion le fait doucement rigoler, l'énerve ou l'écoeure. Certains artistes demandent 70 euros de l'heure. D'autres fois, on fait venir un type de l'autre bout de la France, quelqu'un de connu, qui va rester 3 jours et demander 5000 euros. Gaspillage! Et on dit qu'il n'y a plus de sous ? Il est surtout mal utilisé. Sa parade à lui, à l'heure où on apprend que les budgets sont revus à la baisse partout, pour lui comme pour moi : ne pas être trop gourmand en tarif horaire, et se rattraper sur le poste fourniture (il faut dire qu'il utilise des blocs de calcaire). Du coup, si on lui réduit ses heures, il perd moins d'argent. L'idée d'amener un mec avec une guitare, qui va faire 2 heures de balance, et jouer une demie-heure le fait ricaner. C'est du divertissement. Je sens là un peu d'amertume, et d'aigreur, mais pas de la jalousie. Il trouve très bien le fait de faire de la bd aux détenus. 
Il parle beaucoup, passe d'un sujet à l'autre, me cite pleins d'anecdotes sur ces expériences passées : ici un détenu qu'il a eu 3 fois en atelier sculpture et qui cassait à chaque fois la pièce d'un copain (maladresse ? malveillance ? perversion ?), là un détenu psychotique avec pleins de problèmes,  qui fait lime très, très lentement, mais qui sera là du début à la fin de semaine, un autre qui va très bien s'entendre avec lui, et réussir à se réinsérer à sa sortie, non grâce à lui, mais parce que dans son rapport il a souligné le fait que ce type en échec complet ne réussirait que grâce à la relation qu'il nourrirait avec son éducateur, prof ....

Il a aussi l'impression que de plus en plus il faut faire de la discipline (être derrière les gars, leur interdire de fumer pendant l'atelier...), et que chez certains il faut tout réapprendre (-"ça c'est vertical" "non, ça c'est debout, Monsieur"). Mais on n'est pas là pour ça, nous deux ...
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